Symphonie (Soliloque)




16mm noir et blanc 35 minutes 1979

réalisation et production: Boris Lehman
scénario et interprétation: Romain Schneid
image: Samy Szlingerbaum, Mirko Popovitch
scripte et assistante: Mara Pigeon
son: Paul De Meulemeester
musique: Gustav Mahler
montage: Eliane Du Bois

réalisé dans le cadre d'une animation au club antonin artaud

avec l'aide du Centre Bruxellois de l'Audiovisuel

Festivals: Rotterdam, Lille, Berlin

SYMPHONIE mêle la fiction à la réalité. L'auteur -Romain Schneid - raconte devant la caméra l' histoire de sa propre claustrophobie lorsque, âgé de 12 ans, caché comme juif pendant l'occupation allemande, il ne pouvait sortir d'un minuscule appartement. Il raconte et il joue à lui tout seul tous les personnages de son drame. Il invente, déforme, imagine une autre fin. Il est à la fois l'auteur, le narrateur et l'acteur (les acteurs). A-t-il vraiment vécu ce dont il parle ou tout cela n'a-t-il existé que dans sa tête? Sommes-nous en face d'un témoignage ou bien d'un délire?

L'histoire se passe de nos jours. Il n'y a aucune "reconstitution" ni mise en image du passé.


Ceci n’est pas un film de plus sur la sinistre épopée nazie. Ceci reste le premier témoignage sur la vie intérieure des reclus, des persécutés. Nous nous comptions à quarante, jeunes juifs, dans le grenier du 40 rue de l’Ange, à Namur. Et nous n’avions que nos rêves, notre vie intérieure pour nous soutenir dans la claustration. Cette vie intérieure, tout comme celle de Jacob Rabinovitch, se partageait entre la colère et les plus grandes espérances pour la victoire. La colère était grande contre ces «étranges allemands» qui donnèrent au monde ses plus nobles philosophes et musiciens pour sombrer brusquement dans la plus grande barbarie. Quant à nos espérances de profondes études et de savantes recherches, elles ont été déçues. Mais qu’importe! elles nous ont soutenus dans les heures les plus sombres.
Ce film a été réalisé pour rendre hommage au courage, à la richesse intérieure que déployèrent les jeunes juifs durant la clandestinité. Les Jacob Rabinovitch ont existé et nul ne les oubliera!

Romain Schneid / novembre 1979


CRITIQUES

Soliloque

"Inconsolablement seul sur l'écran, Romain Schneid vit une histoire qu'il nous raconte comme ayant été la sienne.Un jeune juif, après s'être cloîtré pendant plusieurs années de guerre dans un appartement d'Etterbeek, sort dans la rue où il se fait arrêter par la Gestapo malgré l'intervention de la femme qui commençait à l'aimer.
Si on est déjà touché par le thème, c'est de la narration elle-même que provient la plus grande émotion.Proche du délire thérapeutique (Romain interprète tous les protagonistes de ce moment dramatique), ce soliloque exhale un tel parfum de vérité - encore renforcé par l'ambiguité fiction/documentaire de ce film noir et blanc que l'impression laissée par cette collection de souvenirs est tout le contraire d'un "retour en arrière"... Alors que le flash-back traditionnel met le passé au présent, c'est ici le présent qui, gardant sa valeur vitale, se charge des hantises et phantasmes du passé. Boris Lehman ne s'est pas contenté de susciter le récit de son acteur-scénariste, il l'a, par le jeu sur l'image et le son, raconté une deuxième fois. Remarquable est par exemple l'expression de la claustrophobie: évitant le cliché de la contre-plongée écrasante ou les images carcérales classiques, la caméra explore plutôt un univers (l'appartement) entièrement morcelé ou encore cadre Romain de manière étouffante lorsqu'il veut "faire sa gymnastique". Découvrant Symphonie, j'ai repensé un instant à cette scène de Resnais où un personnage (de Muriel) évoque le défilé 20 ans après la guerre, d'anciens déportés des camps de concentration qui, pour l'occasion, ont revêtu avec difficulté les pyjamas en haillons qu'ils portaient alors. Même effet de distorsion dans cette présentification d’un passé cruel. Mais la comparaison s'arrête là car l'anecdote chez Resnais relevait presque du sarcasme tandis que Lehman, une fois de plus, redécouvre la tendresse".

Philippe Reynart /Amis du Film


Sélectionné dans les festivals suivants : Rotterdam (Film International) Lille (court-métrage), Salsomaggiore, Figuetra da Foz ,Valladolid , Montréal, Berlin (Forum International du Jeune cinéma Lorquin (festival du film psychiatrique), Gand…

Sélectionné par Serge Daney dans la semaine des Cahiers du Cinéma.



Mise à plat très sensible de l'antisémitisme nazi à travers le jeu d'un personnage qui fait rêver sa mémoire, sa biographie,l'Histoire. Comment faire passer le cinéma dans le vécu? Le paradoxe du comédien étudié par Diderot est ici réactualisé.

Patrick de Haas (cinéma en marge/1980)


Recherche de nouveau langage cinématographique par la forme particulière du récit:récit à deux voix par un seul personnage,sur un ton monocorde. Associé à des images peu démonstratives, ce récit nous emmène sans conteste vers la claustrophobie ou la liberté.

Micheline Landry (cinéma en marge /1980)



Avec mille fois moins de moyens que le célèbre film TV Holocauste, Symphonie en dit aussi long sur la mémoire juive,sur les ghettos, sur la martyrologie de l'époque nazie.Sa forme de récit, de non récit plutôt, s'accorde à la perfection avec les dédales douloureux du souvenir. On y voit pendant 35 minutes un homme qui parle, en différents lieux,différents contextes,et on n'y voit que cela. Film de parole donc. Mais pas de lamentation.Le ton même de la voix est d'un tout autre registre.Le procédé et le parti pris de la mise en scène nous distancient de tout penchant émotionnel, et nous contraignent non à une identification affective,mais à une identification intellectuelle, donc à une réflexion.La bonne conscience n'a plus cours, le spectateur est impliqué .

Gilles Colpart (cinéma en marge /1980)



Je termine en mettant hors pair deux tentatives de fondre en un le document et la fiction.De François Orgeas (Pierre Pauquet) j'ai dit quelques mots dans le compte rendu du festival de Lille.Reste la grande révélation de Namur,qui est Symphonie. L' interview de Boris Lehman, publiée dans le numéro 13, dit comment le cinéaste a conçu le film en étroite connivence avec Romain Schneid.Je pense que nous n'aurions pas dû applaudir ce travail, qui mérite plus:un silence respectueux. Car il s'agit d'une oeuvre qui bouleverse en profondeur le spectateur attentif, une oeuvre qui frappe certes par son dépouillement esthétique, mais qui se trouve en même temps au dessus de l'exercice formel,en nous proposant un vécu situé à divers degrés et à plusieurs distances -passé et présent confondus,collectif et individuel confondus -en une expérience globalisante, enregistrée à plat. Devant Romain Schneid, assumant tous les rôles en un long monologue interrompu seulement comme pour reprendre son souffle, singulièrement l’œil écoute et l’oreille regarde. Je dis bien : devant Romain Schneid, irrévocablement. On est sans aucune sorte de magie ou de subterfuge, de la manière la plus directe et la plus simple qui soit, en présence d'un acte d'exorcisation et de libération qui cloue plus sûrement au sol que tous les Holocaustes de la terre, car Symphonie ne donne pas bonne conscience. Du moins,c'est ainsi que je l'ai reçu.

Paul Davay (Revue du cinéma belge)




Seule représentant de la Belgique, le film Symphonie (Soliloque) de Boris Lehman et Romain Schneid sort de la norme, celle de Lille. Ni vraiment "court (35 minutes), ni documentaire ni fiction, il pointe un cinéma d'une terrible modernité:le cinéma de la résistance. En 1942, dans un Bruxelles occupé par les nazis, le jeune Jacob Rabinovitch (12 ans) fait la douloureuse expérience de la claustrophobie. Au Centre Antonin Artaud de Bruxelles , en 1979,Romain Schneid (49 ans) fait la géniale expérience du souvenir. Il se souvient, ou il invente ou il délire. Peu importe. Mis en scène par Boris Lehman, Romain joue à Jacob. Seul devant la caméra, il monologue et de ce long texte prend naissance ce que pourrait être le concept de résistance remis au goût du jour par quelques (nouveaux?) philosophes . Résistance à la folie comme langage de la résistance, résistance à l'antisémitisme et à la collaboration, résistance à la mise en scène normative de l' histoire. Résistance aux normes de la fiction et de la vie: le public n'y a pas résisté. Les sinistres plaisanteries bruyantes devaient le rappeler tout au long de la projection du film de Boris Lehman: Romain Schneid/Jacob Rabinovitch est juif, belge et fou. La norme sait parfois affermir sa présence et l'obscurité se prête tristement à ce sinistre message. Qu'il en est capable de dire dans le noir ce qu'ils n'osent encore crier au grand jour. Pourvu que ça dure...

Vincent Toledano ( cinéma 80/ j uin 80/N° 258)





Le "héros" de SYMPHONIE s'appelle Jacob Rabinovitch.Il est juif. En réalité,c'est Romain Schneid, tel qu'il s'imagine avoir été en 1942. La Belgique était alors occupée par les Allemands et Romain, qui n'était qu'un enfant de 12 ans, devait rester caché chez une dame, Madame Stine, à Etterbeek, commune de l'agglomération bruxelloise où s'organisait la résistance .

Romain a aujourd'hui 49 ans. Il se souvient.

Devant la caméra, il raconte quelques moments particulièrement dramatiques de cette période: sa claustrophobie et son désir de sortir dans la rue ou dans le parc du Cinquantenaire, ses rêves et sa colère contre ces "étranges Allemands" qui renoncèrent à leur génie littéraire et musical pour sombrer dans la barbarie nazie, sa soif de culture et d'études universitaires, ses projets de mariage après la libération .

Il raconte, mais il invente aussi , il déforme la vérité.

Romain joue à Jacob Rabinovitch et parfois il le devient. À force de dialoguer avec soi-même, de soliloquer , Romain est littéralement projeté par son propre texte dans le passé qui l'a produit.

Tout le film se passe au présent.Romain est tout seul dans son propre appartement.Il marche de long en large. Est assis sur une chaise, étendu sur son lit. Bourre sa pipe et range ses médicaments.Fait des mouvements de gymnastique, se verse une tasse de café. Regarde par la fenêtre.

Il parle - peut-être n'est-ce que du délire après tout - , telle une machine à produire de la parole, tel un patient Sur le divan du psychanalyste. Seule l'équipe qui le filme est là qui l'écoute (ou fait semblant) et l ' enregistre.

A la fin, Romain regarde sa propre image sur un poste de télévision. Il ne parle plus. Il écoute. Il s’écoute, c’est son image qui se met à parler, à raconter, à jouer la même histoire, qui semble s’être détachée de lui pour prendre une existence autonome.

Histoire qui devient nôtre, et qui ne devrait jamais pouvoir trouver de fin.


Boris Lehman / février 1980

EXTRAIT DU FILM