Portrait filmé de Richard Kenigsman par Boris Lehman
Image : Antoine-Marie Meert
Son :Jacques Dapoz, Marie Verwacht, Luc Remy
Montage : Ariane Mellet, Amarante Abramovici
Mixage: Simon Apostolou, Thomas Rouvillain
Musique : Frank London’s Kletzmer Brass Allstars (Carnival Conspiracy)
Assistanat : Juliette Achard
Aides techniques : André Colinet, Dominique Henry
Avec des apparitions de Richard Kenigsman, Boris Lehman, Géraldine Kenigsman Kohn, Baron Georges Schneck, Laurence Nitlich, Jonah Kenigsman, Zita Hecht-Kenigsman, Emmanuel Majdenberg.
Avec l’aide du Centre Audiovisuel à Bruxelles CBA), du Centre Communautaire Laïc Juif, (CCLJ), de la Fondation Boris Lehman, de l’Institut de la Mémoire Audiovisuelle Juive (IMAJ) du Centre National des Arts contemporains du Fresnoy
Format :16mm couleur sonore
Durée :50 minutes
Belgique: 2001-2008
C’est à l’occasion du tournage d’Histoire de ma vie racontée par mes photographies, dont une partie relatait mes souvenirs et les lieux de ma petite enfance, que j’ai retrouvé mon « plus ancien » ami Richard Kenigsman (littéralement « L’Homme du roi ») puisque nous nous connaissons depuis plus de soixante ans. Pour mon cinquantième anniversaire, il m’avait offert un album de photos. Ces photos avaient été prises dans la maison que mes parents avaient occupée une bonne partie de leur vie bruxelloise, 25 rue Léon Frédéric à Schaerbeek. Les parents de Richard habitaient la même rue, au numéro 19. Enfants nous cueillions des pommes et des lilas dans le jardin et jouions aux billes dans l’un des deux terrains vagues proches. Richard avait pu pénétrer dans cette maison (occupée actuellement par un peintre) alors que toutes mes tentatives d’y entrer pour retrouver quelques traces de mon enfance avaient échoué.
Mon père était fourreur, négociant en pelleterie et celui de Richard maroquinier. Tous deux s’étaient enfuis de Pologne juste avant la seconde guerre mondiale.
Le film parle entre autres des « retouches et réparations » que nos pères respectifs pratiquaient dans leur métier, mais ce titre a évidemment aussi un sens second.
Ainsi s’esquisse un film-portrait, d’abord centré sur les dessins et les sculptures de Richard, mais aussi sur ses relations à son père (un père idéal, « l’homme de la précision et de la perfection »). Richard Kenigsman refait sans s’en rendre compte, les mêmes gestes. On le voit par exemple travailler les déchets de cuir retrouvés par hasard dans une caisse en carton. Il s’empare en quelque sorte des restes de son père (« J’ai eu enfin la peau de mon père » Daniel Sibony) non pour pleurer mais pour, en véritable artiste, en détourner l’usage. L’importance des outils (clés, tenailles, pinces, tournevis, ciseaux) est ici mise en évidence tant ils font partie intégrante de l’oeuvre. Par cet acte, Richard se détourne aussi de son passé (de commerçant dans l’industrie pharmaceutique), de son identité (de juif), de son origine, de lui-même. D’où ce tâtonnement continuel, ses recherches dans tous les sens, qui peut faire penser à de la maladresse, ce côté autodidacte et expérimental qui m’a séduit.
En toute modestie, le film montre cela : qu’est-ce qu’apprendre un métier ? Qu’est-ce que jouer du violon ?
Le film est comme un déroulement de sa vie et de son oeuvre. Un entretien où l’on voit Richard étendu sur un canapé sert de squelette au film et permet de comprendre sa démarche.
Le film s’ouvre sur une scène où Richard accompagne sa sœur Gigi, pianiste, et se poursuit avec le feuilletage d’un album de famille où l’on est sensé me retrouver. Il se terminera par une promenade sur la digue, du côté de Middelkerke.
C’est donc tout naturellement que, l’ayant filmé quelquefois, nous avons eu l’idée de faire un film ensemble. Ce film est d’abord une histoire d’amitié.
Une première version du film, intitulée L’homme de Cuir, avait été montrée au Centre Pompidou à Paris en 2003 mais elle n’existe plus, elle a été détruite. D’où la nécessité des retouches et des réparations.
ALTERATIONS AND REPAIRS
Portrait of Richard Kenigsman by Boris Lehman
As I was shooting Story of My Life As Told by My Photographs, part of which recounted my memories and the settings of my early childhood, I met up with my ‘oldest’ friend, Richard Kenigsman (literally, ‘King’s Man’), whom I had known for more than sixty years. He had given me a photo album. These photographs had been taken in the house in which my parents had lived for the better part of their stay in Brussels, at 25 Léon Frédéric Street in Schaerbeek. Richard’s parents lived on the same street at number 19. As children we would pluck apples and lilac flowers in the garden and play marbles on either/one of the two waste grounds nearby. Richard had been able to enter that house, now inhabited by a painter, whereas all my attempts to get in had ended in failure.
My father was a furrier, a fur merchant, and Richard’s father was a leather merchant. Both had fled Poland just before World War II.
This film does talk/talks about the ’alterations and repairs’ which our respective fathers undertook in their job, but the title obviously also has a second meaning.
This provides the outline of a film-portrait, focusing first on Richard’s drawings and sculptures, but also on his relationship with his father (an ideal father, “the man of precision and perfection”). Without being aware of it, Richard Kenigsman goes through the same gestures. You can see him working on scraps of leather he happens to find in a cardboard box. He is in a sense taking over the remains of his father (“At last he managed to have his father’s hide” Daniel Sibony), not to grieve over them but to appropriate them as a true artist. The significance of tools (wrenches, pincers, pliers, screwdrivers, scissors…) is here underscored, inasmuch as they become part and parcel of the work. Through this action Richard also turns away from his past (as a tradesman in the pharmaceutical industry), from his identity (as a Jew), from his origin, from himself. Hence this endless hit-and-miss, this searching about in all directions, which may suggest a certain clumsiness. This experimental, self-taught aspect is what most appeals to me.
In all modesty the film shows this: what does it mean to learn a trade? What is involved in learning to play the violin?
The film is like an unfolding of his life and his work. A conversation in which Richard is seen lying on a sofa provides the film with a red thread and makes it possible to understand its/his approach.
It opens on a scene in which Richard is seen accompanying his sister Gigi, a pianist, after which it flips through the pages of a family album, in which I am supposed to be spotted. It will end on a walk on the promenade, in Middelkerke (near Ostend).
As I had occasionally filmed him, it seemed quite natural to make a film together with him. This is first and foremost the story of a friendship.
An earlier version of the film, entitled L’homme de cuir [The Leather Man] had been shown at the Centre Pompidou in 2003, but it is no longer extant, having been destroyed. Hence the need for ‘alterations and repairs’.
Voir le film
Richard Kenigsman
Né à Bruxelles en 1945.
Etudes universitaires et formation artistique à l’académie d’Uccle.
Mène de front une carrière dans l’industrie pharmaceutique et dans le domaine des arts.
Se consacre exclusivement à la peinture depuis 1997.
A travers des toiles, des pantins animés, des dessins, crée des espaces et des objets poétiques qui s’inspirent du texte biblique.
Visite et détourne d’anciennes photos, publicités et affiches du théâtre pour répondre par la peinture à la question du jeu identitaire, de l’identité juive des traces de mémoire qui s’y rattachent.
Richard Kenigsman est un artiste connu pour son engagement dans la communauté juive de Belgique.
Après les tragédies du 11 septembre sa démarche se veut plus universelle et son travail ne renvoie plus exclusivement à ses seules origines. La guerre, la violence surgissent dans ses travaux. Richard Kenigsman se mesure depuis quelques années à la peinture monumentale pour se faire l’écho de scènes militaires ou de violences urbaines qu’il découvre hélas quotidiennement dans la presse.
Expositions
1993 Fine Art Gallery Bruxelles
1994 C.C.L.J. (Centre communautaire laïc juif) Bruxelles
1995 Espace Schoeters Anvers
1995 Traces de la Mémoire (1945-1995) Musée juif de Belgique Bruxelles
1996 The Alan Brown Foundation New York
1996 « Enfants cachés » Maison Pelgrims Bruxelles
1996 Galerie Flak rue des Beaux-Arts Paris
1997 Maison de la Culture Juive Bruxelles
1998 U.P.J.B. (Union des Juifs Progressistes de Belgique) Bruxelles
1998 « Parcours d’artistes » commune de Saint-Gilles Bruxelles
1999 « Yiddish ! Yiddish ? » Musée d’art et d’histoire du judaïsme Paris
2004 Photographies et collages Galerie Faisons un rêve Bruxelles
2005 « That’s the law » West London Synagogue Londres
2006 « Mizrah » Intervention dans une Soukha imaginée par Antoine Grumbach Musée d’art et d’histoire du judaïsme Paris
2006 « Peintures mordantes » C.C.L.J. Bruxelles
Richard Kenigsman
Born 1945 in Brussels, Belgium.
After university and a career in industry, Kenigsman studied at the Art Academy of Uccle.
Kenigsman expresses his art through a variety of media including, painting, sculpture, photography and collages by looking back into the past. He works with photos and posters which he revisits in search of answers as to his identity and origins.
Since 1998, he has had several exhibitions:
« Peintures Mordantes » Espace Yitzak Rabin CCLJ Brussels.
« Judaism par le trait » Maison France Israel Paris.
« Yiddish, Yiddish » Musée d’Art et Histoire du Judaism à Paris.
« Thats the Law » Yeshiva University Museum N.Y.
Kenigsman created in the courtyard of the Musée d’Art et Histoire du Judaism, in Paris a “Mizrah” in an installation constructed by the architect Antoine Grumbach.
For Contact J he runs a regular column of satirical and subversive images and text entitled “L’Homme du Roi”.
Oser voir, oser figurer
La traversée de la peinture à laquelle nous invite Richard Kenigsman est l’expression d’un corps à corps avec l’interdit de la représentation dans la tradition juive.
Le monumental lui sert ici d’instrument pour atteindre l hors d’échelle qui évacue le réalisme pour lui substituer une écoute du regard qui échappe aux interdits. Il n’y a rien à voir tout s’entend, la guerre n’a pas de visage et la grosse caisse détournée de son arrogance militaire nous pousse à la dérision devant la menace des armes.
Face à un terrorisme sourd qui regarde toujours derrière lui de peur d’être suivi, seule l’arme de la dérision est implacable.
A l’écoute du regard se mesure l’acharnement de Richard Kenigsman à passer de l’expérience au souvenir du futur.
Sa peinture ne se contemple pas, elle se vit, s’éprouve, subtil balancement entre une réalité et l’impérieuse nécessité de la re-présentée. Tout finit bien sûr dans la jouissance d’une saoulerie impudique de signes et de sons qui inaugure l’indispensable anatomie du monde.
En parcourant le chemin qui l’a conduit des « burattini » à « l’homme de cuir » puis de la représentation de la terreur à la jubilation des orchestres klezmer, Richard Kenigsman nous assure que « la peinture est un instrument pour voir en lui-même » mais il nous invite en tous cas à nous tourner vers nous même pour répondre à la question sans origine et sans fin de l’identité juive.
Antoine Grumbach
Joueur de loi
Joueur de loi ou de lettres ou même, pourquoi pas, de l’être. On est tous appelés à être au-delà de ce que nous sommes mais en faire un jeu en y mettant, par exemple, des couleurs et des lettres, voilà ce que tente R. Kenigsman, peintre des corps aux prises avec la loi… Il prend la lettre avec des mots hébreux ou pas qu’il fait parler avec le jeu pictural et cela donne des éclats d’humour. Comme ce hassid qui fonce avec le char aux lions pourquoi pas le char d’Ezéchiel ou la présence divine ? avec ce mot yiddish : « Attention ! » au-dessus de lui, c’est tout le drame de certains intégristes : de n’être pas dieu tout en le représentant. Un jour, j’avais dit que j’ai sur moi le petit livre de psaumes comme un paquet de cigarettes et que de temps à autre j’en « fume » un, pour m’inspirer. Et voilà une belle peinture de Kenigsman où un homme au chapeau « fume » la loi, avec là-haut sur le rideau l’interdit mais cette fois en anglais : Just don’t do it. Ou encore ce lion gardien de la loi, il la tient entre ses dents, ces dents que chez d’autres elle fait grincer. Bref, le buisson ardent de la loi anime ces toiles et y met tout autre chose que de la fumée : un certain souffle où communiquent le style affiche et les fouilles de la mémoire, créant ainsi une subtile complexité entre le divin et le trop-humain, entre l’être et le paraître, entre la détresse et la drôlerie.
Et n’est-ce pas là le plus vif d’une tradition, où sérieux et dérision se marient ou se marrent ?
Daniel Sibony, 1998.
|