HISTOIRE DE MES CHEVEUX
(de la brièveté de la vie)




Synopsis

L’histoire de mes cheveux tient en deux lignes (ou en deux phrases)Ils étaient noirs et longs. Ils sont devenus blancs. Je ne les ai plus coupés depuis 1982, il y a donc bientôt 28 ans.

L’histoire de mes cheveux est un voyage, aussi bien dans l’espace que dans le temps.

Ceux qui cherchent dans ce film quelque vérité tant géographique que scientifique  ou qu’historique seront déçus. Le film prend conscience des faits et lieux réels pour aussitôt s’en distancier, par le biais de la poésie et de la fiction.

L’auteur a mélangé à sa façon l’histoire de Samson et Dalila, le voyage des condamnés à mort  jusque dans les camps, la science des cheveux et quelques réflexions sur le sens et la fragilité de la vie.

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Générique

image: Antoine-Marie Meert
son: Jacques Dapoz
assistanat: Juliette Achard, Alexandre Cherbakov, Marie Verwacht
voix: Boris Lehman et Alexandre von Sivers
montage: Ariane Mellet
mixage: Simon Apostolou
texte et réalisation: Boris Lehman

avec
Yvan David, Coiffeur Nicolas, Adrienne Boulvin-Fonck, Louise Beckers, Dr Jean Devroye, Igor Pototsky, Ludmilla Samodayeva, Alexander de Lviv, Olgievd Kuryllo,Nadjejda Loumpova, Marie Duez, Kenneth Anger, Nadine Wandel,...

en coproduction avec la RTBF Secteur documentaires
Responsable documentaire : Wilbur Leguebe
Productrice associée :Annick Lernoud
Chargé de production : Philippe Antoine
Assistante de production : Arlette Claeys
ARTE G.E.I.E.
Anne Baumann, Carine Bratzlawsky, Anne-Marie Deroyer
C.B.A.
Kathleen de Béthune, Jacqueline Aubenas
GOOD AND BAD NEWS
Lubomir Gueorguiev
STUDIO NOVI COURSE
Pavel Petchetkin
COBRA FILM
Daniel De Valck

avec l'aide
du Fresnoy, studio national des arts contemporains
du Centre du cinéma et de l'audiovisuelde la communauté française de Belgique
et des télédistributeurs wallons
avec la participation de la Télévision Betta

remerciements
Marina Gashkova, Valérie Pozner, Hélène Chatelain, Nicolas Deschuyteneer, Alexandre Wajnberg, Samy Szlingerbaum, Henri Morelle, Isabelle Walter, Pascal Kintz, Pierre Mercier, Monique Gelders, , François Albéra, Eva Houdova, Félix Blume, Isabelle Carlier, Anne Brunswick, Marie André, Bernard Breuse, Lévy Matousov, Flahertiana, L'Oréal, Laboratoire Chem Tox

citations
Le Cuirassé Potemkine (S.M.Eisenstein)
De la brièveté de la vie (Sénèque)
Michel Strogoff (Jules Verne - Carmine Gallone)

musiques
Ludwig van Beethoven (Gesang aus der Ferne)
Georges Ivanovitch Gurdjieff et Thomas de Hartmann (les Chercheurs de Vérité)
Saint-Saëns (Samson et Dalila)
Rachmaninoff (l'Ile des morts)
Louis Claude d'Aquin (Le Coucou)
Amaury du Closel (le triomphe de Michel Strogoff)

Laboratoires
Color by Dejonghe; Meuter-Titra, Cineco

Studios
One Two (Nicolas Delooze) , Le Fresnoy (Blandine Tourneux, Cyrille Lauwerier)

tourné en 16mm sur pellicule Fuji avec une caméra arriflex et un nagra 4S
monté sur table CTM
Belgique-Russie
2003-2010

copyright: Dovfilm / RTBF/ARTE G.E.I.E. / CBA / Good & Bad News / 2010

 

Histoire de mes cheveux, de Boris Lehman.

par Léopold Blum.

 A 66 ans, Boris Lehman , avec Histoire de mes cheveux , n’est pas loin d’avoir réalisé son chef d’oeuvre, en tout cas son film le plus accompli, le plus dense et le plus émouvant. On pourrait presque parler de testament, tant il a mis de lui-même dans ce opus.
Oeuvre de maturité qui, selon ses dire, figure comme le 5e volet de Babel, son grand oeuvre autobiographique  entrepris en 1983, et qui dure maintenant depuis plus de 25 ans (les autres épisodes étant : Tentatives de se décrire, Histoire de ma vie racontée par mes photographies, Mes 7 lieux).

Sous le prétexte d’un film sur ses cheveux – vous verrez que le sujet est amplement traité – Boris Lehman dit des choses très graves.  Car le sujet dévie et digresse  sans arrêt pour toujours revenir au sujet qui prend plusieurs faces, plusieurs contours. Après un retour dans le pays de ses parents (où il ne trouve strictement rien) il s’aventure dans des contrées inhospitalières, jusque dans un camp de concentration de l’époque soviétique, où il finit par s’installer, parce que , dit-il, il se sent enfin chez lui.
Voilà donc jusqu’où peut mener le cheveu. Au bout de la vie.
Le sous-titre, inspiré d’un livre célèbre écrit par Sénèque au début du premier siècle, ne s’intitule–il pas justement : de la brièveté de la vie 

Boris Lehman est à la fois illustre et inconnu. Il n’a pas connu, à l’instar de ses confrères Jaco Van Dormael ou les frères Dardenne, la consécration ni même la reconnaissance dans son pays.
Il est pourtant l’auteur de plusieurs centaines de films, dont certains ont été invités dans les festivals  parmi les plus prestigieux, comme Berlin, Rotterdam, Locarno, Montréal, Mannheim, Florence, Pesaro, Moscou, Riga, New York, Jérusalem
Des rétrospectives ont lieu régulièrement dans les cinémathèques du monde entier (80 films au Centre Pompidou en 2003)

Mais voilà, Boris Lehman préfère faire le saltimbanque en portant ses films et en les projetant lui-même, souvent dans des lieux  alternatifs, privés ou semi-privés. Il ne veut pas vendre ni faire de marketing. Il est réticent  pour tout ce qui concerne les nouvelles technologies de la  consommation industrielle (DVD, VOD). Il est un artisan de la pellicule. Un des derniers cinéastes de la pellicule 16mm, format et support économiques inaugurés par toutes les nouvelles vagues des années 60, aujourd’hui tombé en désuétude.

Le film y gagne paradoxalement , et magnifiquement  par son austérité, sa composition, jusque dans ses moindres détails, dignes des plus grands, qu’il admire (Bresson, Marker, Eisenstein), et cite d’ailleurs parfois comme une dette et un hommage à leur égard.

Pour tout dire, ses films ne sont pas distribués, ni produits d’ailleurs, au sens classique du mot.

 On a souvent reproché à Boris Lehman de faire un cinéma  égotiste, nombrilique et narcissique, ce qui est totalement faux.
C’est que le personnage est au centre de ses interrogations, Boris est tout à la fois acteur et réalisateur, tout comme Montaigne ou jean-Jacques Rousseau l’ont été en leur temps. Il ne s’agit de parler de soi que parce qu’on s’adresse à l’autre et ce dont on parle s’adresse à chacun de nous, c’est là toute la force  de son langage.
Il n’y a rien d’hermétique ni d’abscons dans son cinéma. Au contraire, c’est simple et parfois naïf (la naïveté  et la fraîcheur de l’enfant). Aussi frais et libre qu’un premier film, luxe que ne se permettent plus que quelques rares cinéastes (Oliveira, Godard, Rohmer). C’est dit avec tendresse et avec beaucoup de pudeur et surtout beaucoup de poésie.
La musique y est très importante : les voix, la musique, les bruits. Le film est un véritable poème symphonique.

 Boris Lehman se situe aux bords de la métaphysique et de la philosophie. Il s’interroge sur le sens et la fragilité de la vie, nous montre le chemin qui mène de la naissance à la mort, nous parle du temps qui passe et qui nous reste à vivre.

 Le mélange des genres y fait bonne fortune : film scientifique, film historique, film de voyage, nous voilà embarqué dans un drôle d’objet cinématographique, un OVNI ou plutôt un OFNI.

 Le film part dans tous les sens mais en même temps invite le spectateur à en faire autant. On n’est pas enfermé dans un sujet et obligé de le subir de A jusqu’à Z. C’est au contraire une œuvre ouverte qui bifurque, s’enrichit de ses propres détours et rencontres de hasard.

 Soulignons ici la beauté du montage, vif et rythmé, qui arrive à donner toute sa cohérence au matériau en apparence hétéroclite. Car le film avance sur plusieurs niveaux à la fois : documentaire et journal intime d’un voyage à la recherche de ses origines, fiction sur  la recherche de l’amour et la trahison qui s’en suit, métaphore et exposé didactique sur la composition et la symbolique des cheveux,  le tout entremêlé d’archives, de citations, de documents d’ordre divers.

 L’eau figure sans doute un lien (ou un leitmotiv) puissant dans le film. L’eau de l’étang (qui bouge et ne bouge pas), l’eau du bain lors du lavage des cheveux, l’eau de la mer dans laquelle Boris  d’abord se baigne, puis jette une pièce de monnaie, et s’engouffre vers une destination inconnue qui le mène quelque part au bout du monde, là où les premiers goulags ont vu le jour.

C’est dire que chaque élément choisi, a été pesé et pensé pour élaborer le sens de l’oeuvre.
Car il y a, n’en doutons pas, aussi, les convictions profondes de Boris Lehman qui ressortent comme des slogans, avec des phrases telles que : « Donner une image conforme de moi. » au début,  « gagner du temps peut vous faire perdre la vie », et à la fin : « aller vers le droit chemin. Ira-t-il un jour ? » alors qu’il se trouve enfermé dans le camp.

Alors, en définitive, de quoi parle son film ? Qu’est ce qui se cache derrière ce titre, à la fois limpide et ironique ? C’est justement la question que le film se pose à lui-même.

Ixelles. Rue Giron. Juillet 2010.
Autour de la table de montage pendent encore d’innombrables bouts de film. Des plans. Des chutes. Des rushes abandonnés à ne jamais abandonner, lambeaux de vie, pour mémoire.
Boris Lehman termine la réalisation de son dernier opus : Histoire de mes cheveux.
Etrangement aujourd’hui, il est toujours question ici de pellicule.
Incomparable fidélité au format 16 millimètres, à la bande magnétique analogique du bon vieux Nagra Kudelski.
La technique, ici, répond pourtant parfaitement à l’esprit du projet en se faisant, paradoxalement, d’une étonnante modernité.

Le cheveu, comme trace mnésique d’une existence.
Boris Lehman ne tourne pas un film. Il tourne successivement, inlassablement et depuis quatre décennies les traces peu banales de sa vie.
Dans son studio d’artisan, il dévide l’écheveau, le fil conducteur de son œuvre, le fil d’Ariane du montage d’une vie.

L’argument du film est à la fois scientifique et poétique : nos cheveux gardent effectivement les traces de notre vie affective, nerveuse, des environnements traversés, des substances ingérées, sans compter l’information unique que constitue notre code génétique intégral.

Mais voilà : Boris Lehman est un grand poète.
Ainsi, il constitue et reconstitue à partir de tout cela la base métaphorique et métonymique de son œuvre : le film lui-même ; la pellicule à la fois comme mémoire et projection d’une existence.
Alors, les choses ont lieu, les choses se déroulent : le présent rencontre un passé revisité.
C’est un grand voyage vital au travers de sa propre mémoire, de son propre psychisme.

Odyssée filmique (le fil d’Ariane, le film d’Ariane, coupe, cut, montage, mixage, coiffure, écriture, style) au travers de toutes les péripéties d’un vécu authentique conduisant Boris Lehman Jusqu’à ses racines existentielles, de Bruxelles en Pologne jusqu’en Russie, et – ce qui est bien plus long, bien plus complexe – d’Ixelles à Ixelles et d’exil en exil.

Ce camp de concentration, aussi.
Cette extermination qui commençait toujours par la tonte des cheveux – coupure de mémoire, amnésie programmée.

Dans la boîte noire d’existence (Camera obscura Arriflex 16 mm), objectif microscope et macroscope, panoramique mental, plan large sur l’horizon de la pensée, se déroule et s’enroule effectivement un film d’Ariane, une cinématographique psychanalyse en je et en jeu du poème d’exister et du verbe tracer, du verbe retracer, du je au tu et du tu au nous.

Le cinéma de Boris Lehman n’est pas un cinéma du « Je », mais un cinéma du « tu » (du verbe taire)) au « nous ».
C’est aussi un cinéma de l’autre (« Je est un autre », Arthur Rimbaud) précisément dédié à l’autre. A nous autres.
Tracer. Retracer cette mémoire de ses propres cheveux, c’est projeter en avant, vers le futur de l’écran blanc, l’essentiel d’une vie.

Le cheveu. Cela ne tient qu’à un cheveu.
Un seul cheveu, comme un film unique en son genre.
Cette force de mémoire face à toute perte de mémoire, face à toute perte de cheveux
.
Mais qui est donc Samson ? Qui est Dalila ? Quelle est cette histoire?  Trou noir, trou de mémoire.

Entre hormones et psychisme, il y aura toujours l’intime et immense poème d’être, de créer, un lien ténu, un cheveu si solide pourtant, si résistant, cette fragile pellicule, ce film si fort, si résistant lui aussi, en forme d’inaltérable fidélité à ce qui relève de l’authentique.

Jacques DAPOZ / Juillet 2010

Je ferme les yeux et je vois des branches qui s’agitent. Elles sont tantôt noires telle une résille sans fin, tantôt légères et vertes, chevelure de saules qui pleurent le temps qui passe.

Je ferme les yeux et je vois : un homme part à l’autre bout du monde à la recherche des traces incertaines de son père, généalogie fantasmée et pourtant inscrite dans un espace dont on retire des signes, un à un.

Je ferme les yeux et je vois cet homme dans la mer, ou qui mange une glace, cet homme qui tourne en rond comme on tourne autour de soi, comme on tourne autour du pot, comme on creuse un chemin de vie, formé de multiples traverses, d’impasses et de recommencements. Je ferme les yeux et je vois cet homme dans la lumière polaire partir sur une route incertaine creusée de douleurs, balayée par les vents.

Je rouvre les yeux. Je vois le même homme qui n’a pas renoncé à chercher l’amour, dans ces régions de nord et de froidure.

Je vois le même homme encore. Il s’interroge sur le temps et le sens de la vie, il prend des trains, des trains aux longs couloirs qui sentent l’alcool et la chaleur, il prend des bateaux improbables, il rencontre des êtres étranges, des jeunes filles étrangères.

Je vois cet homme qui parle de lui, qui fait semblant de nous parler de ses cheveux et voudrait tellement nous faire croire à la science, mais en réalité c’est pour rire, son film éclate, balayé par la lumière et le vent polaire, en réalité oui, il nous parle de notre vie même, de nos errances et de nos recommencements, de notre quête interminable de la terre d’où nous sommes chacun, réellement et subjectivement, de la douleur inscrite dans l’espace de l’histoire, de la disparition des êtres singuliers et de celle inexorable de l’humanité toute entière.

Je ferme les yeux encore. Un dernier baiser, léger, improbable, entre cet homme vieillissant et une jeune femme à la beauté évidente comme est belle et évidente la lumière froide de ces régions ; les lèvres se touchent le temps qu’une chanson commence. Les lèvres sont froides très loin à l’est.

Je rouvre les yeux alors. Le cinéma de tout ce film d’un bout à l’autre de sa durée s’est inscrit là, au cœur du plaisir à voir des films qui sentent et qui pensent, qui creusent le temps pour nous l’offrir : il parle de notre destin même.

 Claire Angelini , Perpignan, 26.11.2010