format: super 8 (version 16mm gonflée en 2009)
image, réalisation et montage: Boris Lehman
durée: 60 minutes à 24 images par seconde
générique: Lyland Doyen
textes de William Burroughs (citation) Henri Michaux (citation) et Boris Lehman
voix: Boris Lehman, Marcel Dossogne, Nicole Roegiers
je filme et je suis filmé
J'ai conçu ce film en 1974 pour le premier festival national du film super 8. Les organisateurs, à l'instar de ce qui avait été fait à Paris un an plus tôt, avaient demandé à quelques professionnels de réaliser un film dans ce format réservé aux amateurs. Beaucoup avaient refusé. Moi pas.
Avec une vingtaine de cassettes, j'ai réalisé un film d'une heure, pratiquement sans déchets, sans chute.
Le principe du film était le suivant. Comme le règlement du festival interdisait aux amateurs de présenter des films de famille et des films de vacances, et qu'à moi tout était permis, j'ai pensé en faire un. Et, comme on parlait beaucoup de démocratisation du cinéma grâce au super 8, j'ai pensé faire participer d'autres personnes à la réalisation de mon film.
J'ai filmé et me suis fait filmer par 150 personnes, amis et autres, visités chez eux ou rencontrés dans la rue pendant les mois de juillet et août 1974, à Bruxelles et dans les environs.
Le film fut projeté devant une salle comble de près de 1000 personnes, qui ne ménagèrent pas leur déception ni leur hurlement. Pour preuve, cet article de Luc Honorez dans le journal Le Soir: «Paradoxalement le travail en super 8 de certains cinéastes professionnels, présentés hors compétition, est décevant. Je songe à Album 1 de Boris Lehman. C'est un portrait de Boris par Boris. Boris et ses amis: une heure de projection de techniques brouillonnes, d'images ratées. Une sorte de message ésotérique envoyé par Boris a Boris pour épater Boris. Cela tiendrait de la farce si ce n'était aussi ennuyeux. Constamment on a envie de dire à ce cinéaste: Boris, prête-moi ton vélo pour suivre ta conversation! Nous vous parlerons plus tard des films des autres professionnels car cet Album 1 nous a achevé...»
Heureusement, il s'en est trouvé beaucoup d'autres pour apprécier et me louanger:
«Avec cet essai de 60 minutes, Lehman entend explorer les possibilités du super 8, et, en même temps, montrer comment on peut aller à contre-courant des films-albums-de-famille qui sont la tentation de tant de propriétaires de caméras légères. C'est, en fin de compte, au premier degré, le témoignage émouvant et sensible d'un homme qui tient l'amitié pour le plus grand bien qui soit, et qui le manifeste non seulement en filmant ses amis, mais encore en se faisant filmer par eux, chez eux ou dans la rue. On assiste ainsi à un échange constant et chaleureux, où interviennent 150 personnes comme vues dans un kaléidoscope. Vision unanimiste où le cinéaste joue avec subtilité des effets de montage, où interviennent parfois des successions de flashes ultra-rapides, des accélérés, des documents hétérogènes. Aux images, dont certaines séquences muettes demandent l'accompagnement au piano - ce que Fernand Schirren fit remarquablement - se superposent de beaux textes de William Burroughs, Henri Michaux et Boris Lehman. Dans l'ensemble, malgré beaucoup de différences avec les modèles, on peut reconnaître une manière de filiation de Jonas Mekas (Souvenirs d'un voyage en Lituanie) et autres cinéastes parallèles des U.S.A., ce qui n'est pas une mauvaise référence» (Paul Davay / Clés n° 48 )
C'était déjà, 4 ans avant Magnum Begynasium Bruxellense, une collection d'images et de personnages cinématographiques; 9 ans avant Couple, Regards, Positions, un jeu expérimental; 10 ans avant Babel, un voyage, un errance en forme de film journal.
Film-brut, de famille sans la famille, Album 1, dans son exploration technique et esthétique, atteignait le degré zéro du cinéma. Aussi y voyait-on notamment une gare sans arrivée de train, l'entrée d'un directeur dans son usine, un repas de bébé, la lecture des tarots, l'arroseur non arrosé et même un lion du Potemkine.
TEXTES DE ALBUM 1
voir et se taire
aimer mourir / vaguer de pluie / sous lété réjoui / sembler demain / acharné / suffoquant / à pied dans les bureaux / et les jardins / extérieurs / filmer laube et la foule / je sois là / feuilleté à linfini / avalé / narcisse / graffitis / mieux connaître.
album / ardemment désiré / je filme... je suis filmé / collé / crevé / incomplet
dans la nuit du 4 août / amateurs débutants / maladroits empêchés de lumière / orageux et mouillés / en famille / éclairés comme un drame / pas très bon tout ça.
Lillusion est une arme
Trajet drôle et tranquille / vertueux itinéraire sans cesse détourné / étonamment sacrilège / programme improvisé / et luxueux / tout englobé dans mon image
promenade ouverte / dans un journal perdu et dérobé / miroir / psychanalyse / trahison des images / mensonge du cinéma / oubli de voir et de rêver / déjà mort / voulu tragique / avalé / sans cesse recommencé / douleurs fertiles / excitées en morceaux / pensées sur celles
oui mort
les catastrophes ont aussi leurs emblèmes / biberon denvie / encastré dans l'herbe molle / entré dans latmosphère sans oxygène / étouffé dironie / vicieux le cercle / enfermé sans trou / demain langoisse au ventre
immortelle chronique / équilibrée de mousse / parfum délite / absurde anatomie / vibrée / immobile / précipitée au jour en soleils concentriques / charabia dillusions érigé en pointe bic / irradié / révolté / cousu / voûté / pellicule affamée / solide / récif blanc d'expédition / il-mer / feu-femme / tir-boucle / germe-horizon / un jour lascension /ultime résidu nu tapissé de ruine
je vous parle du bout du monde. Il faut que vous le sachiez. Souvent les arbres tremblent. On recueille les feuilles. Elles ont un nombre fou de nervures. Mais à quoi bon ? Plus rien entre elles et l'arbre, et nous nous dispersons, gênés.
remplir le vide / rendre impossible le possible / arriver nulle part / sans être jamais parti / penser à / être sous les orages / abrité / heureux / fragile / vigoureux / conscient / pareil / fini / fatigué / délivré / dépareillé / recevoir un pubis
tout et davantage / diarrhée verbale / voyage imaginé sans retour/ sans limite et sans mémoire / attraction du destin / jamais / probablement le sexe et lesprit confondu / brouillon unique / escale aveugle / regard chronique / dans la bouche le sommeil
parenthèse dure à ma façon vivre
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